En réalité, le droit international n’échappe pas à la problématique classique des rapports de force en matière de relations internationales. En pratique, il reste intrinsèquement lié aux inextricables fluctuations entre le droit, la justice, la puissance, l’intérêt et la spéculation. Toutefois, l'émergence à partir de 1987 puis le développement des notions subtiles de « droit d’ingérence » et de « devoir d’ingérence », initiés par le doyen Mario Bettati et le Dr. Bernard Kouchner, dans leur ouvrage commun Le devoir d’ingérence, avaient constitué une évolution majeure de la pratique du droit international humanitaire.

Pourtant, plus de 20 ans après cette grande évolution, on a l’impression que la pratique du droit international humanitaire va à reculons. L’attitude belliqueuse de l’État d’Israël vis-à-vis du droit international en est un exemple topique. Son occupation du territoire palestinien de Gaza s’analyse dans la durée comme une extravagante violation du droit international. En droit international humanitaire, l’occupation ne peut-être qu’une situation temporaire, juste peut-être le temps nécessaire pour rétablir la paix. Mais rien en droit international ne peut justifier une occupation de plus 43 ans, sauf la volonté de laminer méthodiquement le peuple palestinien. C’est bien ce que fait Israël.

Pourtant, les dispositions de la IVe Convention de Genève relative à la protection des populations civiles en temps de guerre du 12 août 1949 obligent l’État d’Israël, comme puissance d’occupation, à protéger la population palestinienne. Bien au contraire, Israël a imposé aux Palestiniens de Gaza un blocus économique et humanitaire comme punition collective. Israël a livré la tristement célèbre opération militaire Plomb durci en décembre 2008-janvier 2009 contre cette population qui n’a, malheureusement, la possibilité ni de se protéger ni de fuir.

De l'illégalité du blocus de Gaza
Pour ceux qui ne connaissent pas la précarité géographique de la bande de Gaza, et afin d’imaginer l’ampleur du désastre humanitaire vécu par les populations palestiniennes, en voici le verbatim de la définition qui lui a été donnée par l’ONG internationale Médecins du Monde dans un communiqué de presse en date du 07 octobre 2008 : « La bande de Gaza est une véritable poudrière politique et humanitaire, une prison à ciel ouvert dans laquelle, sur un territoire de 40 km sur 10, s'entasse une population de plus de 1,5 million d'habitants soumise à un embargo international sévère en vigueur depuis le printemps 2006 et prise en étau entre le Fatah et le Hamas ». D’ailleurs, les conséquences catastrophiques de ce blocus israélien contre Gaza sont consultables sur le site web du Figaro "Gaza : l'économie du blocus israélien en chiffres".

Il conviendrait aussi d’apporter une clarification sur le statut juridique de la bande de Gaza au regard du droit international. La déclaration de l’ex-Premier ministre israélien, Ariel Sharon, le 15 septembre 2005, devant l’Assemblée générale des Nations Unies, prétendant que la bande de Gaza est désormais un territoire libre et souverain, n’a été qu’une pure mise en scène. Voulant justifier la fin de ses obligations juridiques de puissance d’occupation envers ce territoire, Israël avait présenté l’évacuation des colons et des militaires israéliens de la bande de Gaza en 2005 comme une action mettant fin à l’occupation israélienne de ce territoire.
Or, en droit international, le paramètre déterminant qui permet d’établir si un territoire est occupé ou non est le contrôle effectif de ce territoire, quand bien même ce contrôle ne passe pas nécessairement par une présence militaire directe. Au demeurant, il ne fait aujourd’hui aucun doute qu’Israël continue d’être une puissance occupante qui exerce un contrôle effectif sur la bande de Gaza. Il est absolument notoire de rappeler ici qu’Israël :

- contrôle toujours les 6 voies d’accès à la bande de Gaza ;
- contrôle toujours la bande de Gaza par des incursions militaires périodiques ;
- interdit certaines parties de la bande de Gaza aux habitants ;
- contrôle toujours la totalité de l’espace aérien de la bande de Gaza ;
- contrôle toujours les eaux territoriales de la bande de Gaza ;
- contrôle les registres de l’état civil des Palestiniens : les statuts des habitants de la bande de Gaza sont déterminés par l’armée israélienne.


À la lumière des considérations juridiques pertinentes ci-dessus, la bande de Gaza demeure donc un territoire occupé au regard des dispositions du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’Homme. Israël reste une puissance d’occupation et les populations de la bande Gaza continuent à bénéficier juridiquement de leur droit inaliénable à la protection, tel que garanti par la IVe Convention de Genève.

Pour ces raisons, les comportements d’Israël dans la bande de Gaza doivent donc être analysées et évalués conformément aux dispositions de ces deux branches du droit international pour statuer sur les faits et situer les responsabilités qui en découlent en matière pénale.

Partant de ce principe, le blocus de la bande de Gaza, en vigueur depuis plus de 3 ans, contrevient aux obligations juridiques de l’État d’Israël en matière de droit international. Cette pratique avilissante, qui s’apparente à une punition collective inhumaine, est prohibée par l’article 33 de la IVe Convention de Genève. Par ailleurs, Israël a le devoir de tout faire, comme puissance d’occupation, pour prévenir les crises humanitaires auxquelles est confrontée la bande de Gaza du fait du blocus. C’est bien ce que stipule l’article 55 de la IVe Convention de Genève.

Toutes les déclarations, tous les témoignages documentés des organismes humanitaires internationaux, onusiens et autres sont unanimes et sans équivoques. Le blocus de Gaza a engendré des pénuries de tous genres et constitue une catastrophe humanitaire sans précédent. Israël a ratifié le Pacte de 1966 sur les droits civils et politiques, mais refuse de l’appliquer dans les territoires occupés, tandis que la justice israélienne se dit incompétente pour contrôler les actes de l’armée aux motifs des contraintes de sécurité. Les mesures prises par Israël et leurs conséquences (fermeture des points de passage, réduction des fournitures de carburant pour l’électricité, cessation des activités bancaires, crise alimentaire, chômage endémique, etc.) sont des violations manifestes du droit international des droits de l’Homme, en particulier des dispositions du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, comme le droit à la vie (art. 6), le droit à une nourriture suffisante (art. 11), le droit au meilleur état de santé physique et mentale (art. 12), le droit à l’éducation (art. 13)…
De plus, le blocus de la bande de Gaza a accru les risques de malnutrition alimentaire chez les enfants. Or, le droit des enfants à des conditions de vie décentes et à la santé font partie des principes repris à l’article 24 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant de 1989 dont l’État d’Israël est partie.

La flottille : un coup de force de trop
Comme si tout cela ne suffisait pas pour Israël à battre en brèche les règles du droit international humanitaire, si chères pourtant à Mr. Bettati, mon professeur de droit international à l’ENA de Paris, comme à son ami Mr. Kouchner, alias le french doctor, celui qui a été le porte-drapeau de ce fameux droit d'ingérence et le Robin des mers du Sud depuis qu’il s’est porté au secours des boat people vietnamiens au large des côtes vietnamiennes et sur l'île malaise de Poulo Bidong à bord d’un autre navire appelé Ile-de-Lumière, un navire qui nous rappelle étrangement celui de Marmara de la flottille de la liberté… Donc, si comme tout cela ne suffit pas disais-je, à travers son attaque contre la flottille de la liberté, Israël a voulu rendre désormais « caduques » une bonne partie de la Convention internationale de Montego Bay et du traité international de San-Remo sur le droit international de la mer.

Tout laisse croire que le coup de force d’Israël a été bien préparé. En essayant d’influencer les médias pour relayer sa propre version des faits, Israël a tenté d’abord de se soustraire à sa bavure. En vain, son alibi, selon lequel les humanitaires cherchaient les ennuis en entrant dans les eaux nationales alors qu’ils savaient très bien qu’ils seraient stoppés en raison du blocus, s’est vite volatilisé devant les faits réels d’un crime qui n’est que trop complet. Aux proportions médiatiques planétaires, ce coup de force d’Israël semble être de trop. Cette fois-ci, l’attaque de la flottille de la liberté a eu lieu dans les eaux internationales et l’opinion publique mondiale ne veut plus croire au mensonge.

Les Conventions internationales sur le droit de la mer ont été ratifiées et signées à Genève en 1958 et à Montego Bay en 1982. Elles définissent juridiquement, d'une part, les espaces maritimes (eaux intérieures, mer territoriale, zone contiguë, zone économique exclusive, plateau continental, haute mer, régimes particuliers des détroits internationaux et des États archipels), d'autre part, les droits et les devoirs des États dans ces espaces, notamment ceux de navigation et d'exploitation des ressources économiques, ainsi que ceux de la protection du milieu marin. Israël, qui ne reconnaît pas les eaux nationales palestiniennes, n’est pas signataire de ces traités.

Pourtant les règles du droit international de la mer sont acceptées par tous les pays du monde. Ainsi, tout État côtier dispose d’un droit de poursuite en haute mer, lorsque la poursuite a commencé dans une zone relevant de sa juridiction. Tout État côtier a aussi comme obligation de prêter assistance et secours à quiconque en péril ainsi que de réprimer et de coopérer à la répression de la piraterie, du transport d’esclaves, du trafic de stupéfiants, etc.

L’agression israélienne contre la flottille de la liberté est intervenue dans les eaux internationales. Même si elle n’a pas ratifié la Convention de Montego Bay, Israël n’a aucune autorité dans les eaux internationales de la haute mer. Les dispositions y garantissant la liberté de circulation et l’interdiction pour tout État d’y exercer des actes militaires ont incontestablement une valeur coutumière, et sont donc opposables à Israël. Les dispositions du droit international en la matière sont éclatantes :

- Article 87 : « La haute mer est ouverte à tous les États (…). Elle comporte : a) la liberté de navigation ».
- Article 88 : « La haute mer est affectée à des fins pacifiques ».
- Article 89 : « Aucun État ne peut légitimement prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté ».


Ceci dit, la violation du droit international est donc clairement établie du seul fait de l’intervention militaire israélienne contre la flottille de la liberté. L’État d’Israël ne peut prétendre à aucun droit sur les occupants du navire Marmara attaqué en haute mer, dont certains ont été tués, d’autres blessés, terrorisés, torturés, volés, spoliés, privés de liberté, stressés. Plus grave encore, cette violation grave du droit international a été accompagnée d’actes sanglants et d’actes de piraterie caractérisés. Dans ce cas, le droit international est clair, la violence ne peut être qu’une circonstance aggravante du délit israélien.

Les tergiversations actuelles sur une éventuelle enquête internationale pour savoir s’il y a eu crime ou pas sont fâcheuses et saugrenues. D’ailleurs, c’est une bonne méthode pour commencer déjà à relativiser la gravité de l’incident et à diluer le délit israélien pour trouver une échappatoire. Une intervention militaire en haute mer commise par une puissance occupante contre un convoi humanitaire apportant des secours à la population occupée et soumise à un blocus économique et humanitaire ne peut pas se discuter. Les seules discussions qui s’imposent doivent porter sur une enquête internationale pénale qui devrait établir les faits criminels et constater les circonstances aggravantes des délits commis sans équivoques par Israël.

Malheureusement, les règles du droit international de la mer ont été violées à plusieurs reprises. Ainsi, la France avait-elle fait couler le navire Rainbow Warrior de l'organisation écologiste Greenpeace qui se trouvait dans les eaux territoriales néo-zélandaises pour protester contre les essais nucléaires français. Elle avait été condamnée à une lourde amende qu’elle vient seulement de finir de payer. Il serait particulièrement choquant qu’Israël ne soit pas poursuivie auprès du Tribunal international du droit de la mer de Hambourg, pour les crimes et délits commis à cet effet.

La crédibilité du droit international et la légitimité des institutions de la justice internationale sont maintenant sur la sellette avec la grossièreté des agissements d’Israël. En droit international comme en droit national, la jurisprudence fait loi. Si le monde laisse aujourd’hui l’État d’Israël bafouer les règles du droit international pour n’importe quel alibi, son impunité servira de prétexte demain à d’autres États pour faire de même. L’impunité encourage à commettre de nouveaux crimes avec toujours plus de désinvolture.

Face à ces crimes passibles de sanctions pénales, il est question aujourd’hui de mettre à profit tous les moyens légaux pour lancer rapidement une action internationale d’envergure. Des experts du droit international, des organisations de défense des droits de l’Homme et des organismes de la société civile devront y contribuer, notamment afin d’examiner ensemble les voies et moyens juridiques disponibles et les modes de saisines les plus appropriés pour traduire en justice les responsables politiques et militaires israéliens afin qu’ils répondent de leur crimes.

Mohamed Saleck Ould Brahim,
Par Multipol le samedi 12 juin 2010, 07:18 - Crises et conflits - Lien permanent