Les
richesses controversées du Sahel attisent la convoitise des grandes
puissances internationales, désirant s’en assurer le contrôle. Dans un contexte
géopolitique mondial marqué par la crise financière, les enjeux énergétiques
sont, plus que jamais, au centre des conflits internationaux. Durant les dix
dernières années, le Sahel s’est érigé, malgré sa pauvreté manifeste, en un hub
énergétique mondial particulièrement convoité. Dans cette vaste région où, la
nature des reliefs, les espaces lacunaires et les angles morts favorisent
l'amplitude et l'imbrication des flux criminels de tous bords, la guerre livrée
par la France et ses coalitionnaires, au nom de la "lutte contre le
terrorisme", si chère à Mr. Bush, risquerait bien d’être l’arbre qui cache
la forêt.
Fraîchement sortie socialiste ou, du moins, "socialisante", la France officielle,
qui voulait plutôt prendre ses distances avec le périlleux héritage de la
France-Afrique dans la sous région, s’est fait, subtilement attrapée par le
syndrome de la guère au Nord du Mali.
Pour
l’oncle Napoléon, les prétextes ne manquent pas, quand bien même, ils relèvent
du registre de la grande contradiction. De la célébrèrent triste, "logique
de guerre" de Mr. Mitterrand, lors de la première guerre du golf contre
l’Iraq, à la récente décision de Mr. Hollande, d’envoyer son armada au Nord du
Mali, les réflexes sont restés les mêmes. L’instrumentalisation politique de la
lutte contre le terrorisme d’Al-Qaïda est invoquée de nouveau dans un emprunt
explicite au vocabulaire belliqueux des néoconservateurs américains. Pas de
quoi se vanter pour une France qui se veut aux yeux des Africains, tout comme
des Américains et des Nations unies, la "puissance indispensable"
dans la sous région.
Alors
pourquoi donc, la France, qui ne cache pas son appui aux groupes Salafistes
armés de la nébuleuse Al-Qaïda en Syrie, s’empresse-t-elle en va-t-en- guerre contre
ces même groupes au Sahel ? La réponse est forcément politique et pas juridique, comme
l’avait récemment expliqué le juge antiterroriste français Marc Trévidic, dans
une entrevue au Journal du
dimanche.
Certes, le
Sahel est devenu un espace de confrontation géopolitique et géostratégique entre
les différentes puissances régionales et internationales, pour le contrôle des
richesses naturelles qu'il recèle: pétrole, gaz, or, phosphates, diamants,
cuivre, fer, charbon, nickel, zinc, bauxite, uranium, plutonium, manganèse,
cobalt, argent, chrome, étain, sels minéraux, eaux douces, poissons, crustacés,
diversité biologique, cheptels de bétails, bois précieux, etc.
Zone
charnière entre l’Afrique subsaharienne et la Méditerranée, avec ses 80
millions d’habitants, ce vaste territoire de plus de 9 millions de km²,
difficilement contrôlable, est devenu un sanctuaire dédié à l’insécurité.
Écologiquement et économiquement délabré et laissé pour compte, l’immensité du
Sahel a constitué un véritable Eldorado pour abriter les nouveaux terrorismes
franchisés d’Al-Qaïda (Aqmi, Mujao, Ansar Dine, etc.) qui cohabitent
désormais, avec les activités illicites et
criminelles de tous bords.
Une
véritable géopolitique des tubes, sur un fond de rivalités internationales
croissantes, commence à se dessiner au Sahel. Dans cette vaste région débridée,
allant de l'Atlantique à la Somalie et de la Méditerranée au Golfe de Guinée,
l'évaluation des enjeux de sécurité à travers le prisme des flux dévoile les
parcours transsahariens qui, loin d'être des terroirs hermétiques et
compartimentés, se chevauchent et se recoupent pour créer une multitude
d’équations géopolitiques intangibles.
Les grands États de la planète s’activent depuis
quelques années déjà pour organiser progressivement le désenclavement des
richesses du Sahel afin de les acheminer ensuite vers les zones de
consommation, en Asie via le Soudan, en Amérique via le Golfe de Guinée et vers
l’Europe continentale à travers l’Atlantique, le Sahara et le Maghreb.
Paradoxalement,
l'abondance des ressources naturelles et l’importance de la position
géostratégique de la région du Sahel vont de paire avec la fragilité de la
plupart de ses États eu égard à leur instabilité et insécurité caractéristique.
Avec une démographie galopante, qui devrait atteindre 100 millions d’habitants
en 2020, avec un taux d’illettrisme qui dépasse 54%, une pauvreté endémique qui
touche au-delà de 50% des populations, une corruption généralisée, une
conflictualité constante, le Sahel est resté une région en panne.
La
conjugaison de l’ensemble de ces problèmes génère souvent des crises politiques
et militaires ou des catastrophes alimentaires, des pénuries, des famines et
des disettes récurrentes qui engendrent des déplacements massifs de populations
en désordre sous formes de réfugiés et/ou de migrants clandestins. Le jeune
cinéaste et musicien canadien d’origine sénégalaise Musa Dieng Kala, ne serait pas
le seul à s’interroger dans son film : "Dieu a-t-il quitté
l’Afrique ?"
Des puzzles
de la Seibâ aux prismes des flux
L’étymologie
du terme "Sahel" est profusément contrastée. Mot arabe qui signifie
littéralement rivage, le Sahel désigne aujourd’hui exactement le contraire de
son sens d'origine. A priori, le Sahel serait là, où la régularité des
conditions d'écologie et de climat rend à nouveau, la vie possible après le
franchissement, particulièrement pénible, de l’immense désert saharien. De nos
jours, le Sahel est antinomique de sa propre signification.
Déjà, à
l’époque médiévale, les anciens géographes arabes distinguaient, en se référant
aux grands empires sahéliens, entre deux notions : "Bilad es
Seibâ" ou pays de la dissidence et, "Bilad es Silm" ou pays de
la paix. Entre ces deux repères géographiques, il y avait toujours eu des
espaces d’indécisions sociologiques, politiques, économiques et militaires. Il
s’agit d’un espace mouvant où des puzzles de terroirs, pratiquement incernables
et indécis, oscillaient selon les dispositions des rapports de forces
conjoncturels, entre les différents centres de décision politico-militaires,
plus ou moins stables et sédentarisés situés sur les confins de cette région.
Les modes
opératoires de gestion de l’espace sahélien n’avaient pas connu de changements
véritables depuis des siècles. Les anciennes revendications territoriales,
commerciales ou culturelles, notamment pour l’accès à l’eau, à la terre et aux
ressources naturelles, s’imbriquent de nos jours, avec les nouvelles
difficultés générées par la mondialisation des flux d’échanges planétaires. Les
modes traditionnels d’exercice du pouvoir sur ces espaces charnières,
sous-administrés et sous-défendus de tous les temps, se faisaient à travers des
droits de passage, de protection et d’usufruits réclamés par les riverains.
En
effet , ce fameux territoire du Sahel, vulnérable du fait même de sa
géopolitique saharienne propice à la dilution des frontières et à la mobilité
des personnes, des montures et des équipements logistiques, a été
historiquement le théâtre éludé de nombreux flux ambulants : humains,
marchands, financiers, culturels, religieux et militaires. Nonobstant, le champ
sahélien n’obéit pas à un système de forces homogènes. Il reste incapable de
s’autoréguler, de parvenir à une certaine stabilité autour d’un ultime point
d’équilibre. Les altercations au Sahel évoquent les dissonances d’un orchestre
sans chef.
État postcolonial
et facteurs d’instabilité
La
fragilité endogène du Sahel découle d’une profonde vulnérabilité des États postcoloniaux
qui en composent le tissu. Espace tampon, mais surtout espace de contacts et
d’échanges, le Sahel ne cesse de développer une conflictualité endémique de
plus en plus difficilement contrôlable. Dans cette région, les facteurs
déstabilisateurs sont nombreux et variés : la fragilité structurelle
et conjoncturelle de ses États, l’extrême pauvreté de ses populations, la
sécheresse et la dégradation de son milieu naturel, les luttes internes de
pouvoir qui y gangrènent, la militarisation croissante de ses rapports
sociopolitiques, la forte pression de sa démographique, les conflits régionaux,
l’insécurité généralisée et les velléités étrangères, qui la transforment en
espace de confrontation géopolitique permanente.
Un
demi-siècle après leur indépendance, les États postcoloniaux demeurent
incapables de parachever leurs autorités sur leurs propres territoires.
Le délitement de tout
État fragile le livre potentiellement à ses forces anarchiques intrinsèques
et/ou à la domination extérieure. Étant un espace particulièrement
sous-administré et mal géré, le Sahel souffre d’une mauvaise gouvernance
chronique qui hypothèque dangereusement son avenir.
Les douze
pays qui constituent officiellement la région du Sahel sont pratiquement
classés, à un titre ou un autre, comme pays fragiles selon les critères de
l’OCDE. Ce classement signifie que les systèmes de sécurité des pays concernés,
sont incapables de jouer avec efficience le rôle majeur qui leur est dévolu. Ce
rôle qui consiste à assurer la protection de la souveraineté, du territoire,
des personnes et des populations des pays en question. Pire encore, dans
certains contextes, les crises d’instabilité qui affectent périodiquement et/ou
fréquemment ces pays, faisaient apparaître leurs systèmes de sécurité comme
étant cause ou partie prenante dans les facteurs d’insécurité et d’instabilité
qui menacent la démocratie, l’État de droit et la sécurité humaine dans lesdits
pays. Seuls deux pays du Sahel sur douze avaient échappé à un coup d’État
militaire en 45 ans, seuls quatre pays membres de la CEDEAO sur 15 n’ont pas
été affectés depuis 30 ans par un conflit violent aux frontières ou à
l’intérieur.
Au Sahel,
l’insécurité revêt plusieurs facettes. Les flux de la criminalité organisée y
ont trouvés largement leur place, soit en s'adossant aux circuits traditionnels
des flux d’échange, soit en occupant les espaces laissés vacants par la relâche
des États affaiblis. Allant du trafic des migrants clandestins, estimé entre
65.000 à 120.000 par an, à celui des armes légères avec environ 8 millions de
pièces qui circulent en Afrique de l’Ouest, dont plus de 100.000 kalachnikovs
au Sahel, en passant par celui des drogues, pour finir avec le terrorisme
régional et international. La criminalité organisée, y compris le terrorisme
transsaharien, a été érigée en créneau porteur à travers une dynamique
capitalistique en plein essor dans un environnement d’extrême pauvreté.
Enjeux
énergétiques et conflits d’intérêts :
Dans un
contexte géopolitique mondial marqué par la hausse continue des cours des
hydrocarbures et une forte demande en la matière, les appétits des grandes puissances
sont facilement attisés. La crise financière internationale et les revirements
des conflits d’intérêts internationaux dans la région du Sahel,
particulièrement riche d’importantes réserves d’énergies fossiles et de
gisements de minerais stratégiques, récréent une tentation énorme chez les
grandes puissances à trouver un prétexte pour s’y déployer. Tant pis pour la
légalité internationale et la démocratie !
Dans ce
contexte, la France dispose d’une longueur d’onde considérable par rapport aux
autres. Elle possède déjà des troupes positionnées dans la région du Sahel ou à
proximité et, dispose de quatre bases militaires permanentes : au Sénégal
(1200 hommes), au Tchad (1250), en Côte d’Ivoire (2000), au Gabon (900) et à
Djibouti (2900), en plus de sa présence limitée et non permanente dans d’autres
pays de la sous région comme le Cameroun, la Mauritanie, le Burkina Faso et le Centrafrique.
Concernant
les États-Unis, bien que leur présence militaire officielle au Sahel n’existe
pas encore, les câbles diplomatiques dévoilés par WikiLeaks révèlent une
autorisation "réticente" de survol accordée par les autorités
algériennes à l’US Air Force pour des missions au Sahel contre l’Aqmi. Déjà,
les États-Unis avaient lancé dès 2002 l’initiative Pan Sahel et organisent
régulièrement les exercices militaires de type Flintlock avec les armées des
pays du Sahel. En Décembre 2008, la Force tactique en Europe du Sud (SETAF) a
été transformée en U.S Army Africa (Armée USA pour l’Afrique), qui est une
composante du Commandement Africa (AfriCom) devenu opérationnel depuis octobre
2009. D’après des officiels US, cette transformation constitue une
"nouvelle façon de regarder vers l’Afrique". Bien que la base de
l’U.S Army Africa soit actuellement à Vicence en Italie, ce corps opérera sur
le continent africain avec de petits groupes pour conduire des opérations
de "réponse aux crises" en se servant de la 173ème Brigade
aéroportée. Fruit de la reconnaissance américaine de l’importance
stratégique croissante de l’Afrique, l’U.S. Army Africa continuera à
s’agrandir dans le cadre de commandement des forces navales AfriCom.
La Chine a
également fait ses entrées économiques colossales dans la région du Sahel
depuis quelques années déjà. La concurrence chinoise avec les autres pays est
en expansion. La Chine est actuellement le second partenaire commercial de
l’Afrique, après les États-Unis. Les investissements chinois sont en forte
croissance même dans les pays traditionnellement liés aux USA. En Éthiopie, la
China Exim Bank a investi récemment 170 millions de dollars pour la
construction d’un complexe résidentiel de luxe à Addis Ababa, et une autre
société chinoise, Setco, a annoncé la construction de la plus grande usine de
pvc dans ce pays. Au Liberia, la China Union Investment Company a investi 2,6
milliards de dollars dans les mines de fer. Des sociétés chinoises ont effectué
aussi de gros investissements qui dépassent 2 milliards de dollars par pays,
dans les secteurs pétroliers au Nigeria et en Angola, jusque là dominés par les
compagnies occidentales.
Israël est
présente au Sahel elle aussi, l’Iran s’intéresse aux minerais stratégiques du
Sahel, l’uranium notamment et, cherche à y réaliser des percées substantielles.
La Russie, l’Inde et le Brésil seraient aussi déterminés à être de la partie.
L’intensification de la présence économique et militaire des acteurs extérieurs
et les conflits d’intérêt qui en découlent, contribuent à déstabiliser
davantage les États fragiles et affaiblis dans la région de Sahel.
A partir de 2015, l’Afrique sub-saharienne serait
susceptible de devenir pour les États-Unis une source d'énergie aussi
importante que le Moyen-Orient, disposant de quelques 60 milliards de barils de
réserves pétrolières avérées. Les experts s'attendent à ce que 1 sur 5 barils
de pétrole entrant dans le circuit de l'économie mondiale proviendrait du golfe
de Guinée, et que la part des importations américaines du pétrole africain
passera de 20% en 2010 à 25% en 2015. Les investissements des compagnies
pétrolières européennes et américaines sont en constante progression depuis
2000. ELF y puise près de 60% de sa production de pétrole. Total et Gazprom
s’apprêtent à financer le projet de gazoduc transsaharien de 4000 km pour
relier le Nigeria à l'Algérie d'ici à 2015. L’attractivité du golfe de Guinée
est de plus en plus grandissante depuis la mise en service, en 2003, de l’oléoduc
Tchad-Cameroun qui relie les champs pétrolifères de Komé, dans le sud-ouest du
Tchad au terminal maritime camerounais de Kribi, sur un parcours de 1.070 km.
C’est au
gré des intérêts croissants des puissances internationales que la tectonique des
frontières conflictuelles sera de plus en plus récurrente dans la région du
Sahel. La sécession du Sud Soudan a été consommée, celle du Mali est encore
crue. D’autres scénarios sont probables dans cette région extrêmement riche en
ressources naturelles.
La demande
mondiale en pétrole et en gaz naturel étant appelée à doubler dans les vingt
prochaines années, le Sahel pourrait alors jouer un rôle prépondérant de
fournisseur d’énergie. Sans compter le potentiel d’Algérie en pétrole et en
gaz, le Mali est troisième producteur d'or du continent, le Niger avec ses
gisements d'uranium, qui le placent au second rang mondial, la récente entrée
de la Côte-d'Ivoire, du Ghana, du Tchad et de la Mauritanie dans le groupe des
pays producteurs de pétrole, confirme la tendance. La production du champ
off-shore ghanéen est estimée à 120.000 barils/jour, celle de Côte-d'Ivoire à
80.000 barils/jour. C’est dans ce contexte, des stratégies de positionnement,
de prise de contrôle, d’encerclement et de contre-encerclement que se
définissent des enjeux géopolitiques, géostratégiques et géoéconomiques de la
zone sahélienne.
En
conséquence, une grande partie des populations pauvres du Sahel, dépourvues de
leurs droits à la sécurité humaine au sens élargi du terme (incluant la sécurité
alimentaire, la sécurité sanitaire, l'accès à l'eau potable, etc.), se
retrouvent souvent contraints de prêter allégeance à des groupes criminels,
rebelles et/ou terroristes soit pour bénéficier des retombées des trafics
illicites ou pour obtenir une ultime protection. A cela s'ajoutent les effets
pervers de la mise en place d'économies parallèles
bâties sur la corruption et le racket, et enfin, la sanctuarisation de groupes
terroristes délocalisés d’Al Qaida, Aqmi et Cie.
Terrorismes
franchisés et géopolitique des menaces
Au Sahel,
toutes les menaces d’insécurité s’entremêlent. L’islamisme combattant va de
pair avec le terrorisme international, la piraterie et toutes sortes de trafics
illicites. Les anciens réseaux et ceux récemment recréés s’imbriquent pour
pérenniser et sécuriser le système de la criminalité internationale organisée
en s’affranchissant des distances et des frontières. En pleine
mutation, ces différents réseaux transfrontaliers bénéficient grandement
des recettes des trafics pour acquérir de nouveau les moyens nécessaires pour
pouvoir développer et continuer leurs activités criminelles.
C'est
pourquoi en réalité, il ne peut y avoir de lutte anti-terroriste efficace sans
lutte globale contre toutes les autres formes de criminalité. L’interdépendance
des phénomènes étant désormais corroborée. Guidées principalement par leurs
soucis de survivre et leurs intérêts convergents : les organisations
criminelles profitent des actions violentes des organisations terroristes, des
guérillas et des rébellions locales, tandis que ces dernières bénéficient des
financements que les activités criminelles sont en mesure de leur fournir.
Actuellement, la collaboration entre AQMI et les réseaux mafieux du Sahel se
développe plutôt vers une forme de spécialisation de l’entreprise criminelle.
Cette tendance a été révélée en Mauritanie en 2010 à travers l’affaire controversée
d’Oumar Sahraoui. Il existerait d’autres hypothèses sur une éventuelle
dérive narcotrafiquante signalée depuis quelques temps chez le Front Polisario
et aussi chez certains leaders des Mouvements indépendantistes de l'Azawad.
Infiltrés
aussi bien par les services de renseignement des pays riverains comme par les centrales
d’intelligences internationales, la dynamique des réseaux terroristes
s’imbrique avec les calculs géopolitiques des rivalités régionales extrêmement
sensibles et complexes. Cette attitude alimente l’instrumentalisation de la
sécurité comme enjeu majeur dans les rapports de force tout comme dans la
gestion des conflits d’intérêts politiques, économiques, et stratégiques à
l’échelle régionale. Les cas de figures sont nombreux et diversifiés, allant
des subtiles controverses des relations bilatérales entre l'Algérie et la
France, fortement marquées par le poids du passé colonial, aux instigations des
conflits régionaux ajournés, dont la persistance constitue une source
d’inquiétude supplémentaire pour la sécurité de toute la région, notamment,
dans les cas du Sahara occidental et celui du mouvement indépendantiste touareg
dans le Nord du Mali.
L’implication
de la communauté internationale (ONU, G8, UE) dans le renforcement
des capacités du système régional de sécurité au Sahel se heurte à plusieurs
difficultés. Au delà des problèmes d’encrage juridique, institutionnel et
politique, de manque de moyens financiers et logistiques, d’absence de réforme
du secteur de sécurité, la coordination des efforts de lutte contre les
menaces d’insécurité au Sahel prêtent souvent à une tentation
d’internationalisation de la menace Al-Qaïda dans cette région par transposition
du modèle Afghan. Cette perspective est souvent assimilée à une sordide
connivence avec des agendas néo-colonialistes dont les objectifs inavoués
visent le contrôle par des puissances occidentales, les Américains et les
Européens notamment, de la route de l'ouest des flux énergétiques notamment
dans les nouveaux sites de réserves récemment découvert dans cette région, au
détriment des autres puissances régionales ou internationales comme les Russes,
les Chinois et les Brésiliens, etc.
Mauritanie :
risques d’enlisement
Dans le cas
de la Mauritanie, les menaces d’insécurité au Sahel et leurs incidences
directes et indirectes se conjuguent avec la complexité de la condition
géostratégique structurellement fragile de ce pays. Le résultat est un
véritable engrenage de postures inquiétantes voire dangereuses.
Au
lendemain de la sortie d’une longue série de périodes d’exception en cascades,
la Mauritanie, qui reste fortement tributaire des écarts disproportionnés entre
la géographie de son histoire et l’histoire de sa géographie, se trouve
aujourd’hui inopportunément piégée au milieu d’un duel périlleux entre des
David et Goliath en lutte pour le contrôle du Sahel.
Au terme
d’un demi-siècle d’indépendance, la Mauritanie est de nouveau attrapée dans les
feux croisés d’une bataille que se livrent des stratégies internationales et
sous-régionales diamétralement opposées, quand bien même, elles sont
subtilement convergentes et coordonnées. Les arrangements tactiques
franco-américains conflueraient actuellement pour faire de la Mauritanie une
pierre de lance dans leur lutte contre Al-Qaida dans la région du Sahel. Pourtant,
le pays reste pleinement visé par la nouvelle stratégie de survie d’AQMI à
travers sa descente dans l’espace saharo-sahélien après les attaques de
l’aviation française au Nord du Mali.
Depuis plus
d’une décennie, le no man’s land mauritanien est devenu un
terrain d’accueil privilégié pour le potentiel de nocivité des différents
réseaux terroristes et contrebandiers délocalisés dans la région du Sahel.
Étant le plus grand portail atlantique du Sahel avec ses 754 km de côtes, sa
superficie surdimensionnée de plus d’un million de km², ses reliefs difficiles
et accidentés, ses labyrinthes désertiques à faible densité humaine, la
Mauritanie est par excellence le pays sahélien le plus fragile et le moins
contrôlable. Désormais, les lisières périphériques du Nord et du Nord-est de la
Mauritanie, où les frontières avec ses voisins d’Algérie et du Mali se perdent
immuablement dans l’immensité impitoyable du désert, offrent indiscutablement
un véritable paradis pour toutes sortes de trafics illicites : armes, tabac,
carburant, drogues, devises, etc.
Cependant,
la Mauritanie est restée curieusement le maillon le plus faible de la région du
Sahel, malgré son potentiel considérable de ressources naturelles. Les
statistiques de GlobalSecurity estiment que le budget annuel alloué
aux dépenses militaires en Mauritanie ne dépassait pas le montant de 19
millions de dollars US en 2005, contre 45 millions pour le Niger, 50 millions
pour le Mali, 117 millions pour le Sénégal, 2,3 milliards de dollars US pour le
Maroc et 3 milliards pour l’Algérie, au titre de la même année. Au titre de l’année
2013, il est attendu que les crédits défense/sécurité, proposées dans le cadre
du budget mauritanien atteindraient à peine 150 millions de dollars.
Certes, la
Mauritanie est héritière de l’empire des Almoravides ou al-Murābitūn, cette
dynastie berbère, qui avait constitué le plus grand empire du Sahel, englobant la
partie Ouest du Sahara, la partie occidentale du Maghreb et une bonne partie de
la péninsule Ibérique au XIe et XIIe siècles, après avoir repris Aoudaghost,
principal comptoir commercial sahélien de l’empire du Ghana en 1054, avant de fonder
Marrakech et de conquérir l’Espagne en 1086.
Plusieurs
siècles durant, les anciennes cités historiques de Mauritanie comme Ouadane,
Tinigui, Chinguetti, Azougui, Tichit, Oualata, Combi Saleh etc., avaient
brillées par leur inexorable pratique de commerce transsaharien florissant
et leurs importantes positions géostratégiques et militaires. Au début du 20éme
siècle, la Mauritanie avait attiré la convoitise des Français déjà installés à
Saint-Louis, qui y voyaient un haut lieu stratégique pour contrôler les
périphéries de leurs colonies en Afrique du Nord et en Afrique occidentale et
pour neutraliser les mouvements nationalistes de résistance.
Toutefois,
le statut géopolitique de la Mauritanie actuelle ainsi que son potentiel
économique et militaire, ne font plus, de la mémoire impériale de ce pays, que
l’ombre d’elle-même. Confrontée aux menaces d’insécurités tous azimuts, la
logique des choses et le bon sens interpellent plutôt la Mauritanie à se
résigner inévitablement à faire la politique de ses moyens quand bien même elle
n’a pas les moyens de faire ses ambitions politiques.
Acteur et
victime de l’ambivalence de sa propre politique étrangère, la Mauritanie a été
l’un des pays sahéliens qui avaient accueilli des équipes spéciales de la US
European Command (EUCOM) en 2004 dans le cadre de la guerre contre le
terrorisme. L’objectif de cette mission portait sur la mise en œuvre des
formations et entrainements internes du programme d'assistance de sécurité
"Initiative Pan-Sahel", fournis par le département d'État américain à
la Défense.
C’est cette
même Mauritanie, qui en 2010 a eu des velléités pour bousculer l’Algérie
voisine, comme gendarme du Sahel, abriterait plutôt discrètement, un
détachement du Commandement des Opérations Spéciales Françaises (COS). Ce
détachement d'une centaine d'hommes environ basé à Atar est chargé de la
formation des GSI (Groupements spéciaux d'intervention) de l’armée
Mauritanienne qui ont été impliqués dans les opérations contre AQMI en 2010 au
Mali. Le détachement aurait participé également à l’opération militaire
franco-mauritanienne dans le Nord du Mali pour libérer l’otage français Michel
Germaneau. A en croire certaines sources spécialisées, ce même détachement
aurait été déployé à Ouagadougou, pour une éventuelle action contre AQMI au
Mali. L’idée de la formation des Groupes Spéciaux d'Intervention (GSI) pour la
lutte contre le terrorisme au Sahel serait éventuellement élargie par la France
au Mali et au Niger.
D’un point
de vue géostratégique, l’analyse des imbrications des données actuellement
disponibles et leurs incidences potentielles sur l’aggravation des menaces
d’insécurité et d’instabilité en Mauritanie fait ressortir indiscutablement des
risques d’enlisement réels. Certes, la guerre au Sahel, contribuerait à l’épuisement
des réseaux d’AQMI, mais, elle lui donnera une nouvelle légitimité au Sahel.
C’est pourquoi, les groupes salafistes rêvaient sans doute d’une
internationalisation rapide de la guerre contre eux. Cependant, la diabolisation
d’AQMI pourrait aussi voiler les véritables enjeux de la confrontation. La
menace terroriste au Sahel ne serait-t-elle pas délibérément amplifiée pour
servir d’alibis aux interventions visant à prendre le contrôle exclusif des
richesses de la région ?
Au cours des
cinq prochaines années, la géopolitique du Sahel serait déterminante pour
l’avenir de la stabilité de l’Afrique et celle de ses voisins Européens pour
les vingt années à venir. Le Sahel, qui demeure à la croisée des chemins de
tous les dangers, restera encore longtemps une zone sensible où se jouera une
grande partie de l’avenir du monde.
Quand aux
perspectives de la guerre au Nord du Mali, je pense qu’elle a ouvert la Jarre
de Pandore… Le "Serval" de Napoléon risque d’ébranler toute la région
sur le chemin périlleux d’un nouvel Afghanistan au Sahel !
Les minutes
de la guerre au Mali ne seront que les prémisses d’une nouvelle ère géopolitique
où, les cartes géographiques et politiques de la région du Sahel seront
redessinées dans le style des accords secrets de Sykes et Picot. Ces fameux
accords qui ont été signés en 1916 entre la France et la Grande -Bretagne (avec
l'aval des Russes et des Italiens), prévoyant le partage du Moyen-Orient à la
fin de la première guerre mondiale, en zones d'influence entre ces puissances,
dans le but de contrer les revendications des Ottomanes et trahir les espoirs
des Arabes pour l’indépendance et l’autodétermination.
Les
nouvelles cartes de partage de la région du Sahel sortiront cette fois-ci avec
une saveur âcre de soupe aux grenouilles, savamment préparée à la socialiste française
du 10, rue de Solférino.
Le fameux
tandem Sykes et Pico se remueraient actuellement dans leurs tombes, prendraient
certainement des crayons, des morceaux de papier blanc et des cartes grises concoctées
pour la région du Sahel et, se prépareraient maintenant à tracer des lignes
nouvelles, des frontières nouvelles et, à créer des entités nouvelles…
Diviser
davantage ce qui est déjà une partition, segmenter et séparer à l’infini les
entités intrinsèquement inséparables.
Avec la
guerre de Napoléon au Nord du Mali, aucun pays du Sahel ne serait à l’abri, désormais,
de l’effet des crayons traceurs des nouveaux Sykes et Pico !
Mohamed
Saleck OULD BRAHIM
Expert en
relations internationales,
Senior
Researcher / CMRDEF
medsaleck@gmail.com
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