Pourquoi le coup d’État du 3 Août 2005 n’avait-il pas servit à grand-chose d’après certains politologues ? Comment les élections législatives organisées en fanfares en 2006, n’avaient-elles pas bouleversés les rapports de forces du paysage politico-social mauritanien, comme on pouvait l’imaginer à la suite du putsch contre Ould Taya ?
Autant de questions qui sont soulevées par le déclenchement du compte-à-rebours pour les prochaines élections législatives en Mauritanie. Le pays commence à se préparer à cet événement majeur, avec un œil braqué sur les chamboulements du "Printemps arabe" et, un autre rivé sur la menace terroriste d’Aqmi.
Alors, que va-t-il se passer donc dans les quelques mois à venir ? Par rapport à la dernière expérience législative de 2006, est-ce qu’on prend les mêmes procédés, et on recommence ? Ou bien, y aura-t-il véritablement un nouveau changement cette fois-ci ?
Assurément, tout le monde se rappelle encore des dernières législatives de 2006, mais, qui alors a pris le temps, le soin et la patience d’analyser à fond les données de cet événement sociopolitique majeur pour éclairer ses dessous et déchiffrer ses intrigues ? Certes, peu d’entre nous !
C’est bien ce constat qui m’amène aujourd’hui à présenter aux lecteurs de mon blog, une nouvelle étude analytique qui examine profondément les enjeux des élections législatives de 2006 en Mauritanie. Un texte particulièrement intéressant à plus d’un titre. A l’origine, il s’agit d’un mémoire de thèse de Master en géopolitique, qui a été réalisé en 2008 par un jeune chercheur franco-algérien dans le cadre de ses études doctorales à Institut français de géopolitique de l’Université Paris8. Par la suite, la thèse a été éditée en 2009 sous forme d’un livre d’essai de 176 pages, avec comme titre : "Enjeux géopolitiques des élections législatives de 2007 en Mauritanie», paru chez la maison d’édition française Edilivre.com à Saint Denis.
Je ne vous cache pas que je suis déjà un peu familier à l’environnement immédiat de ce travail de recherche, parce qu’à l’époque, j’ai eu à connaître et à échanger longuement avec M. Réda Dali, qui est l’auteur de cet essai, lorsqu’il était en passage à Nouakchott, dans le cadre de son travail académique en début 2008. A titre de personne ressource, j’ai été mis en contact avec ce jeune chercheur parisien par un autre collègue de la même université, qui avait déjà fait des travaux de recherches remarquables sur les enjeux géopolitiques du pétrole en Mauritanie.
En réalité, j’ai toujours voulu initier des recherches analytiques à vocation scientifique sur les élections en Mauritanie appliquées sur une base de données SIG, dans le cadre des projets du Centre Mauritanien des Recherches sur le Développement et le Futur (CMDEF), que je dirige depuis sa création en 2004. A défaut d’y arriver jusqu’à présent, je reste persuadé que la compréhension objective de l’évolution des processus socioéconomique et géopolitiques dans notre pays, passe nécessairement par l’adoption d’une approche holistique à base d’analyse critique, qui tranche catégoriquement avec les palabres des polémiques politiciennes habituelles et avec les méthodes d’analyse classiques dont la pertinence épistémologique est particulièrement limitée dans le domaine des sciences humaines.
En dépits de ses imperfections et des critiques qui peuvent être formulées à son endroit, la présente recherche sur les élections législatives de 2006 pourrait bien contribuer, malgré tout, à éclairer scientifiquement l’analyse géopolitique du processus électoral en Mauritanie. Par conséquent, je trouve utile que les acteurs politiques tous horizons confondus, les observateurs et les décideurs publics prennent le temps de parcourir ce livre pour en tirer des leçons utiles qui peuvent être d’une importance capitale pour le bon encrage de la démocratie dans la société mauritanienne et, pour une meilleure stabilité du pays.
Tout en gardant mes distances, j’ai essayé de synthétiser la teneur la cette recherche pour la présenter aux lecteurs. Cette démarche m’a emmené souvent à citer intégralement, ou partiellement l’auteur ou encore, à paraphraser son texte sans pour autant démentir ni corroborer ses conclusions.
A mon avis, la singularité de ce travail de recherche réside dans la perplexité du statut conjoncturel de son objet. Néanmoins, il constitue indéniablement une tentative intrépide pour essayer de comprendre la chose politique mauritanienne à travers l’examen d’une expérience à la fois euphorique et éphémère. Les législatives de 2006 paraissent comme un instant dilatoire et ambulant, caractéristique d’une Mauritanie trébuchant dans les méandres de l’entre-deux-coups d’état de 2005 et 2008. Nonobstant, cette étude a su comment y dévoiler un certain charme qui avait fait techniquement de la Mauritanie un état démocratique, admirable aux yeux du Monde entier. Sans trahir sa rigueur méthodologique, ce texte transgresse les rivalités de pouvoirs et les subtilités tribales, claniques et économiques locales pour apercevoir derrière les belles parures du suffrage universel de 2006, digne d’une élection techniquement très démocratique, l’ombre qui plane d’un nouveau coup d’État qui s’annonçait en filigrane.
Pourquoi cette étude est intéressante ? Parce qu’elle nous met en garde en interpellant notre conscience. Avant d’aller en course pour les prochaines législatives dans quelques mois, il faudra peut-être marquer un instant de réflexion critique à l’égard de l’expérience de 2006 pour en tirer quelques leçons utiles pour l’avenir.
L’auteur commence d’abord par s’interroger pourquoi les résultats des dernières législatives en Mauritanie nous laissent perplexe ? Y a-t- il eu un changement réel ? Ou simplement un compromis de variation ? Y a t-il eu du nouveau, ou s’agit-il plutôt d’une nouvelle mise en scène de l’ancien ? Il finit par conclure que le coup d’État du 3 Août 2005 n’aurait pas servit à grand-chose. Les résultats électoraux des législatives organisées, en fanfares au lendemain, n’avaient pas vraiment bouleversé les rapports de forces du paysage politico-social mauritanien, comme on pouvait l’imaginer à la suite du putsch.
Grosso modo, l’étude s’emploi à prouver qu’il n’y avait pas eu de changements sociopolitiques réels en Mauritanie. Puisque les résultats des législatives qui avaient donné lieu à l’actuelle configuration politique au sein de l’Assemblée nationale est tronquée. A l’époque, on aurait pu imaginer un scénario différent, celui d’une victoire écrasante des partis de l’opposition, surtout que le régime d’Ould Taya était très décrié. Pourquoi donc l’électorat en a-t-il décidé autrement ?
L’étude a essayé de démonter le postulat que le changement opéré en 2005 au sommet de la pyramide du pouvoir en Mauritanie, n’a été qu’un simple remaniement à l’intérieur d’un système sociopolitique bien établi. Il parait que cette conversion a été faite sur mesure justement pour atténuer le mécontentement de certaines tribus beïdanes à travers une démocratisation de façade purement technique. Il s’agissait d’intégrer un certains nombre d’éléments contestataires au sein de ce système, par un jeu électoral hautement médiatisé, sans pour autant remettre en cause le fondement sociopolitique du système en soi.
L’auteur conclu que si les modifications postélectorales avaient permis de faire de la Mauritanie un État techniquement démocratique, alors qu’il en est encore très loin. Vues de l’extérieur, mais surtout de façon isolées, déconnectées de la réalité mauritanienne, ces législatives donnaient l’impression d’apporter un véritable vent de liberté. Cependant, vues de l’intérieur, et mêlées au fonctionnement de la société mauritanienne, elles ne font qu’illusion.
Pour notre politologue, l’autopsie des dernières législatives paraît sans appel. Issue des élections organisées au lendemain du premier coup d’état en 2005, l’Assemblée nationale actuelle aurait été un acteur politique majeur dans l’avènement du second coup d’état en 2008. Au bout d’une année de confusion des rôles et d’enchevêtrement des acteurs politiques au niveau d’une Assemblée un peu trop panachée et disparate, la ligne de marquage entre majorité et opposition disparaît donnant lieu à une véritable confusion des genres. Le simple citoyen mauritanien ne pouvait plus alors distinguer entre le block des députés qui soutiennent le gouvernement et ceux qui sont contre.
Globalement, l’étude voit que même si l’organisation des dernières élections législatives a été bien appréciée par l’ensemble des candidats et observateurs, notamment ses aspects techniques formels (comme les listes électorales, les bulletins et les bureaux de vote, les urnes, etc.), elles constituaient néanmoins un véritable fiasco sur le fond. L’extravagante victoire des "candidats indépendants" qui avaient remportés 41 des 95 sièges, avait transformé la nouvelle Assemblé Nationale à un géant aux pieds d’argile. Faute d’éclosion de majorité claire et homogène, susceptible d’incarner une référence politique lisible, l’Assemblée nationale a été rapidement pervertie et paralysée par les jeux d’alliances et de contre alliances politiciennes.
Pour l’auteur, c’est cette situation délitée d’absence de majorité claire capable de marquer des frontières compréhensibles entre opposition et majorité, qui aurait conduit le pays au second putsch en 2008. D’après le chercheur, la nébuleuse des indépendants, qui ne sont en réalité que d’anciens membres de l’ancienne mouvance présidentielle d’Ould Taya, auraient été rapidement instrumentalisés dans tous les jeux de rapports de force qui avaient suivi. Ils rejoignirent d’abord les partis de l’alliance gouvernementale en créant la coalition El Mithaq, pour soutenir le nouveau président élu sous cette étiquette, se reconvertissent ensuite dans le parti- État Adil, avant de reconstituer comme une sorte de cheval de Troie ou de clan d’opposition privé qui a travaillé d’arrache-pied pour le renverser le président Sidi.
Répartition des 95 sièges au sein du parlement mauritanien
Artifices de changement et revirement précoce
L’étude, qui décortique bon nombre d’éléments sociologiques, biographiques et géopolitiques relatifs aux députés issus des élections de 2006, constate que ses résultats étaient loin d’augurer une révolution, mais plutôt d’une timide évolution. Faisant le constat qu’une majeure partie des dignitaires de l’ancien régime d’Ould Taya ont été encore une fois réélus sous différentes étiquettes politiques, l’auteur en déduit que les députés des législatives de 2006 suscitent de nombreuses interrogations : qui sont-ils ? Qui représentent-ils en tant qu’ethnies et tribus ? Où ont- ils eu le plus de voix ? Sont-ils novices sur la scène ? Ou appartiennent-ils à des partis politiques existants ou nouveaux, ou à une mouvance islamique ? Appartiennent- ils à des tribus ou à des groupes ethnique en particulier les Négro-africains, les Maures et les Haratines ? Votent-ils tous dans le même sens ? Ou constituent-ils des coalitions politiques ?
Pour démontrer la pertinence de sa thèse sur l’absence de changement à l’issue des législatives de 2006 en Mauritanie, l’étude aborde quatre aspects socioéconomiques et géopolitiques importants pour analyser l’évolution des changements intervenus à plusieurs niveaux d’échelle :
(i) Les rapports de forces interethniques et tribaux qui, à travers la multiplication des petits partis politiques et l’introduction davantage de tribus au parlement, avaient consacré la prédominance du groupe dominant depuis l’indépendance, c'est-à-dire les Beïdanes. Les chiffres sont révélateurs, les Maures occupent 66 % des sièges de l’actuelle Assemblée nationale, le reste étant partagé entre les Négro-Mauritaniens avec 19%, et les Haratines, qui détiennent 15%, avec quelques absences comme celle des Toucouleurs, au sein des Négro-Mauritaniens. Alors que certaines statistiques affirment que les Négro-mauritaniens et les Haratines représentent 30 % chacun de la population totale du pays, ils ne représentent à l’Assemblée nationale qu’à hauteur de 21 % à eux deux ;
(ii) La représentativité politique et partisane des nouveaux élus dont la configuration , au lieu de permettre une victoire écrasante des partis de l’opposition, s’est laissée emballée sous la domination extravagante des "candidats indépendants", qui avaient remportés 43% des sièges de l’Assemblée Nationale. Pour l’auteur, ces résultats donnent l’impression comme si Ould Taya était parti en 2005, pour que ses fidèles restent au Parlement ;
(iii) Le système de vote et le découpage électoral mauritanien auraient été toujours nettement défavorables aux Négro-Mauritaniens. Initiés sous l’ère d’Ould Taya, sciemment pour favoriser les Maures en désavantageant les régions du Sud du pays peuplées en majorité de Négro-Mauritaniens, cet arsenal de découpage est resté en vigueur malgré tous les soubresauts du pays et les velléités de changement. L’application en 2006 du mode proportionnel de liste ainsi que les vieilles procédures de vote révèle des écarts territoriaux disproportionnés. D’après l’analyse géopolitique de l’importance électorale de chaque circonscription et de chaque wilaya, il parait que certaines circonscriptions électorales avaient été plus avantagées que d’autres ;
(vi) L’analyse de la territorialité politico-sociale de l’espace mauritanien comme lieu de toutes les disputes, fait ressortir qu’il y une véritable rupture envers le territoire comme identité. Là où les activités économiques sont moindres, on a tendance à ne pas désigner des élus "externes". Dans les territoires les plus riches, il y a toujours des élus non issus de la région concernée, alors que dans les territoires les plus pauvres on retrouve des élus issus exclusivement de leur région. L’auteur conclu alors, qu’il y a deux Mauritanie, celle qui change et celle que le "vent de sable immobilise" éternellement !
Ould Taya part, ses fidèles restent
Au cours des législatives de 2006, les partis (RFD, UFP, PUDS, APP et FP) de l’ancienne opposition au régime du président déchu Ould Taya, avaient remporté seulement 32 des 95 sièges, soit 33% des sièges de l’Assemblée nationale. La composition des élus issus de l’opposition montre qu’ils sont assez hétéroclites. On y retrouve des anciens opposants, des anciens du régime Ould Taya, des enseignants et des cadres de l’administration.
A travers l’analyse de la sociologie des élus du RFD, l’étude indique que les 16 députés de ce parti sont en majorité des cadres dont à peu près un tiers est composé de nouveaux, un tiers fait partie de l’ancienne opposition, et un autre tiers fait partie de l’ancien régime d’Ould Taya. L’autopsie de la composition des 9 sièges de l’Union des forces du progrès (UFP), fait ressortir au sein de ses élus, l’existence de beaucoup plus d’anciens proches d’Ould Taya que d’élus de l’opposition, en plus des 5 sièges de l’APP, dont le président lui-même de l’Assemblée Nationale.
Répartition des partis d’opposition rapport au régime d’Ould Taya
De l’autre coté, le PRDR (ancien PRDS parti État d’Ould Taya), composé en majorité de fonctionnaires, de cadres et de notables avait obtenu 7 sièges. Si ce parti avait su changer son nom avant l’échéance électorale de 2006, il n’en est pas de même pour ses élus. Ils sont sans surprise tous d’anciens cadres de l’État. L’étude a bien démontré que les candidats indépendants, proches de l’ancien pouvoir d’Ould Taya, sont ceux qui ont obtenu la majorité des sièges à l’Assemblée nationale.
Répartition des élus des nouveaux partis par rapport à l’ancien régime d’O.Taya
Répartition des élus des nouveaux partis par rapport à l’ancien régime d’O.Taya
Les indépendants, ce sont aussi les islamistes, qui pour contourner la loi sur l’interdiction de partis à caractère religieux, ils se sont présentés en tant qu’indépendant. Le cas le plus connu est celui du Rassemblement centriste. Avec 4 élus il a été le parti qui a remporté le plus de sièges parmi les "nouveaux" entrants au parlement.
Répartition des élus indépendants par rapport à l’ancien régime d’O.Taya
Il y a aussi les Partis de l’Union pour la démocratie et le progrès (UDP), qui a emporté 3 sièges et le Rassemblement pour la démocratie et l’unité (RDU) avec lui aussi 3 sièges. Là il n’y a pas de surprise, les élus de ces deux partis sont tous des proches du régime Taya.
Répartition des élus du RDU par rapport à l’ancien régime d’O.Taya
Comme les partis de l’ancienne majorité, les nouveaux partis, répartis entre six formations (RD, RNLDE, HATEM, Alternative, UCD), avaient conquis peu de sièges. L’auteur pense que ces petits partis ont été créés pour " braver" l’interdiction aux candidats indépendants de se présenter sur la liste nationale.
HATEM, créé par les putschistes de 2003, avait obtenu 3 sièges, le Renouveau démocratique (RD) d’Ould Abeiderrahmane, a remporté 2 sièges. Les autres « nouveaux » partis comme l’UCD, Alternative et le RNLDE, ils n’ont rien de nouveau sauf peut-être la date de leur création. On retrouve en leur sein des hommes politiques de l’ancien régime. Pour l’Union centriste démocratique (UCD), c’est un ancien président de l’Assemblée nationale qui en assure la direction (Rachid Ould Salah) et pour Alternative, il a comme élu un proche du l’ancien parti au pouvoir. Pour le RNLDE (Rassemblement national pour la liberté la démocratie et l’égalité), c’est un ancien administrateur qui le représente au Parlement. Mis à part HATEM, tous les " nouveaux" partis ont comme élus d’anciens proches du régime de Taya.
Revanche des marabouts, perte des Haratines et surplace des Négro-Mauritaniens
Bien que l’appartenance tribale des élus, par rapport à leur positionnement politique, ne semble ne pas être suffisante pour étudier s’il y a une évolution électorale en Mauritanie ou pas, l’étude a essayé, suivant l’approche des acteurs, de différencier entre ethnies et tribus, qui désignent avant tout, un rapport de force et de classe dans un contexte social mauritanien un peu particulier. L’analyse, qui a porté sur les ethnies Beïdanes ou Maures et les Négro-Mauritaniens, défini la tribu comme étant la fraction à laquelle appartient le membre d’un groupe ethnique, exemple : un Négro-Mauritaniens Soninké, un Maures Idawli, etc.
L’auteur avait dressé un tableau des fractions de chaque ethnie, au sein de l’assemblée nationale. Le cas Haratines a été étudié sous deux angles variables. Dans une première hypothèse, ils ont été assimilés à une ethnie, ou une tribu à part entière et dans la seconde, ils ont été intégrés en faisant référence à la tribu de leurs maîtres, ou anciens maîtres. Ainsi, l’étude a traité les résultats des élections en prenant en compte les réalités sociales et "tribales" de chaque élu. Cette analyse avait permis de faire ressortir un certain nombre d’interprétations sur la problématique de la représentativité politique des groupes ethniques et des tribus au niveau de l’Assemblée nationale.
Bien que l’analyse socio-ethnique de l’actuelle Assemblée Nationale donnent une large majorité aux Maures (Beïdanes) avec 66%, contre 19% pour les Négro-mauritaniens et 15% pour les Haratines, ce sont paradoxalement, les tribus appartenant aux ethnies dites "dominées" qui se retrouvent être les premières représentées contrairement à ce quoi on pouvait s’attendre.
Ainsi les Négro- Africains sont les mieux représentés à l’Assemblée Nationale, si l’on ne prend que la tribu des Pulars. Les Haratines sont eux aussi fortement présents, avec 5 députés, ils sont les mieux représentées à coté des Pular. Quant aux tribus maures, les mieux lotis sont les Tajakant, les Idawli et les Idablahcen, avec 3 sièges chacune, ensuite viennent les Kounta, et les Laghal, avec 2 sièges chacune. L’étude souligne la forte présence des tribus du centre de la Mauritanie comme au sein des partis de l’opposition. La seule véritable difference c’est la présence plus imporante des tribus de l’Est. Les tribus du Nord restent encore une fois sous représentées au parlement.
En fournissant une multitude de digrammes qui donnent toute sorte de répartition, notamment le nombre de sièges appartenant à chaque tribu, l’étude remarque que les chiffres peuvent varier si on attribue aux Haratines le nom de la tribu pour laquelle ils étaient esclaves, et dans laquelle ils ont vécu. Durant cette période, ils se sont appropriés les normes de leur tribu d’appartenance, et construits une identité sociale. On parle alors, de la tribu de socialisation des Haratines. Ainsi les Idawli et les Kounta renforceraient leur présence avec un siège de plus chacun, occupant la troisième position en terme de représentativité tribale au sein de l’Assemblée nationale.
Ses données ne peuvent que réconforter le Président de S.O.S esclavage, qui aurait déclaré en févier 2008, lors d’un entretien avec le chercheur, que l’État n’avait pas le choix : "soit il accompagne les jeunes Haratines dans leur insertion, soit ils la prendront par les armes".
L’analyse sociogéographique montre aussi que si les Beïdanes sont mieux représentés en terme d’ethnie, les Pulars aux côtés des Laghal et des Ideyboussat sont les mieux représentés en terme de tribu avec 3 sièges chacune. Cette répartition ressemble à celle de l’opposition ou l’on retrouve les Haratines en tête. Même si la majeure partie des élus de l’opposition sont des Beïdanes marabouts issus du Centre, du Sud et Sud Ouest du pays, c’est dans ce camp politique qu’il y a une meilleure représentativité des Haratines et des Négro-Mauritaniens à l’Assemblé nationale.
Nonobstant, il y une faible représentation des Haratines au sein des indépendants, comparée aux résultats des partis politiques. Cette situation démontre tout simplement que les Haratines ne valent rien sans l’appui d’un parti. Cela veut dire aussi que ce groupe n’a pas d’existence propre dans la société mauritanienne, malgré quelques nominations comme celle de Messoud Ould Boulkheir à la tête de l’Assemblée Nationale.
Pour ce qui est de la répartition géographique des élus indépendants, on remarque que contrairement à l’ancienne mouvance gouvernementale, et à l’opposition, ce ne sont pas les tribus issues du centre qui prédominent mais plutôt celles du Sud. La seule similitude c’est l’absence de tribus issues du Nord.
En résumé, les élus indépendants sont en majorité des cadres beïdane, proches de l’ancien parti au pouvoir d’Ould Taya. Ils sont plus au moins panachés par leur typologie tribale, même si les tribus maraboutique restent majoritaires avec plus de 50 %.
Pour mieux faire comprendre les enjeux de cette répartition géopolitique, l’étude combine ses informations avec celle du rapport de Crisis Group sur la transition politique en Mauritanie. D’après ce rapport, les Idawli seraient détenteurs des plus grands capitaux en Mauritanie. Leur nombre élevé au sein du Parlement confirment leur hégémonie politico-économique, ils sont, d’après les données collectées des plus influents, même s’ils sont très divisés.
Les autre tribus citées dans le rapport de Crisis Group, comme ayant les plus grands hommes d’affaires, sont les Smassid, les Oulad Bessba, les Rgeibat et enfin les Oulad Ghaylan. Le rapport souligne que les Smassid, dont est issu le président déchu O.Taya, occupent une modeste 9ème place à l’Assemblé nationale. Cette tribu, dont tout le monde disait qu’elle régnait sur la Mauritanie, n’est finalement pas si puissante comme on a pu le laisser entendre souvent dans les médias.
L’autre grande tribu, qui pourrait être parmi les mieux représentées, est celle des Oulad Bou Sba, dont sont issus les deux artisans des deux coups d’État récents en Mauritanie (le colonel retraité Ely Ould Mohamed Vall, et Mohamed O. Abdelaziz, promu général). Pourtant, cette tribu occupe seulement la 16éme place à l’Assemblée nationale.
Découpage électoral et enjeux géopolitiques
Le découpage électoral n’a pas connu de changement véritable en Mauritanie, la seule nouveauté fut la nouvelle circonscription nationale qui a été créée en 2006 par le CMJD et appelée couramment liste nationale. Pour plus de 2,5 millions d’habitants que compte le pays, la circonscription nationale comporte 14 sièges réservés aux partis politiques, pour donner aux petites formations plus de chance d’accéder à l’Assemblée nationale à travers l’application du mode de scrutin proportionnel. Le principe est simple. Il s’agit d’additionner les scores des partis qui n’ont pas eu de sièges dans les circonscriptions locales pour leurs en attribuer sur le plan national.
Pour mieux apprécier cette démarche, l’étude établie une comparaison entre l’effectif de la population et celui des sièges à pourvoir par circonscription. Il s’avère que si la circonscription de Nouakchott, est celle qui dispose de plus de sièges (11) avec la circonscription nationale, elle demeure l’une des moins représentées si on divise le nombre de siège sur les 558.195 habitants en 2000. La proportion est de 50.745 habitants pour 1 élu.
Mais les choses deviennent plus confuses quand on passe à d’autres circonscriptions comme Sélibaby et Nouadhibou, qui disposent toutes les deux de 3 sièges chacune. Le problème réside dans la disproportion incontestable entre Sélibaby, avec une population en majorité de Négro-mauritaniens de 128.311 habitants et, Nouadhibou qui compte 79.519 habitants seulement. L’étude remarque que Nouadhibou a été avantagée, même par rapport à d’autres circonscriptions du Sud comme Kiffa avec ses 76.776 habitants, et M’bout avec ses 77.816 habitants qui elles, n’ont que deux sièges chacune. L’étude évoque deux hypothèses pour interpréter ce constat. Soit il y a eu une volonté de ne pas attribuer aux Négro-mauritaniens plus de sièges, soit on a peur en leurs attribuant un nombre de siège spécifique que cela soit traduit comme une reconnaissance culturelle et politique. Pourtant, la comparaison du nombre d’inscrits dans les deux circonscriptions est intriguant. Alors qu’entre Nouadhibou avec ses 79.516 habitants et Sélibaby, qui compte 128.311, c’est la moins peuplée des deux, c'est-à-dire Nouadhibou, qui a le plus d’inscrits sur les listes électorales avec 48.391 contre 41.134 inscrits seulement pour Sélibaby.
Pour ce qui est des autres circonscriptions, c’est-à-dire celles de moins et de plus de 31.000 habitants, l’étude remarque plusieurs anomalies. Comment peut-on attribuer le même nombre de sièges (1 siège) à une circonscription de 4.627 habitants seulement comme Tichitt, est une autre de 28.977 habitants comme Keur Macène ? En résumé, l’étude conclue que le découpage des circonscriptions électorales par rapport aux effectifs d’habitants est quasiment caduc.
S’il existe une inégalité de répartition des sièges au sein des différentes circonscriptions électorales, cela veut dire que la "force électorale" de chaque électeur dans les différentes circonscriptions est très disproportionnée. A Nouakchott par exemple, qui dispose de 11 sièges, elle équivaut en réalité à 1 élu pour plus de 21.000 inscrits. Dans les circonscriptions de moins de 31.000 habitants, qui ne disposent que d’un seul siège par circonscription, elle équivaut à 1 élu pour environ 10.000 inscrits. L’étude remarque à travers cette analyse, que se sont les circonscriptions les "moins peuplées" qui sont les mieux représentées, voire même, surreprésentées. Ce fait est d’une grande importance, car c’est dans les territoires où il y a le moins de monde et moins d’électeurs qu’on vote ou que la tribu peut nous faire voter pour une personne et non pour un programme politique.
A partir de la comparaison entre les différentes régions du pays, l’étude constate que la répartition des sièges sur l’ensemble du territoire n’est pas homogène. Il y a un rapport très disparate de 1 à 11 entre les différentes wilayas. La capitale Nouakchott dispose de 11 sièges contre 1 siège seulement pour la wilaya de l’Inchri.
La comparaison entre les densités et le nombre des sièges montre qu’il n y pas vraiment de schémas directeur pour déterminer des critères objectifs de représentativité dans ces élections. Les wilayas les plus peuplées ne sont pas nécessairement celles qui disposent de plus de sièges. Nouakchott et la wilaya de Traza au Sud-ouest disposent de plus de sièges, 20 exactement. Après Nouakchott, mais à l’extrémité Est de la Mauritanie, on retrouve la wilaya de Hodh Chargui avec 10 sièges.
Entre ces deux bouts d’extrémité, on retrouve quatre wilayas avec moins de 10 sièges chacune. L’étude interprète ce constat pour dire qu’en Mauritanie, ce sont les wilayas des extrémités (Est/Ouest) qui ont le plus de sièges. C’est dans ces deux côtés de la Mauritanie qu’on retrouve les principales tribus les plus représentées au Parlement, c'est-à-dire les Tajakant, les Laghlal et les Kounta. Pour ce qui est du centre de la Mauritanie, on retrouve deux wilayas, la première est la wilaya enclavée de Tagant, qui est l’une des moins représentées en nombre de sièges et la seconde est l’Adrar, qui se situe en termes de représentation dans la même fourchette que les wilayas du sud. Cela est peut être dû selon l’auteur, au fait que le Président déchu Ould Taya est issu de cette wilaya.
C’est au Nord qu’il y a les trois des quatre wilayas les moins représentées en nombre de siège : le Tris Zemmour à l’extrême nord, l’Inchri, et Dakhlet Nouadhibou au Nord Ouest. L’étude s’étonne de l’importance du nombre de sièges dans la wilaya du Hodh El Chargui, qui ayant l’une des densités les plus faibles de la Mauritanie, devrait logiquement disposer de moins de sièges. L’auteur évoque les explications d’un parlementaire qu’il avait entretenu à ce sujet. Pour M. Ba Aliou Ibra, cette anomalie serait du au fait d’avoir calqué le découpage électoral sur le découpage administratif. Cela n’empêcherait pas l’auteur de se demander s’il n’y a pas d’autres raisons non dites, qui seraient peut-être, d’ordre économique, politique, démographique ou tribal ?
Malgré le fait que les wilayas du Sud Ouest ont été celles qui disposaient du plus grand nombre de sièges au Parlement, leurs électeurs sont parmi les moins représentés. Il faut plus de 18.000 électeurs pour élire un élu au Trarza, et plus de 21.000 électeurs à Nouakchott. On retrouve dans cette même fourchette la wilaya de Nouadhibou située à la frontière sud de Sahara Occidental. Ne disposant que de 3 sièges, il faut plus 16.000 électeurs pour y élire 1 seul député. Les autres régions dont les électeurs ont plutôt une bonne représentation sont les wilayas de l’Inchri au Nord Ouest, le Tagant et l’Adrar au centre.
A travers la territorialisons des wilayas, dont moins de la moitié des habitants sont inscrits sur les listes électorales, on remarque qu’elles occupent toutes les parties sud du pays, où il y a dans ces régions la plus grande concentration de Négro-Mauritaniens (Gorgol et Guidimakha) et, surtout l’un des plus grand taux de pauvreté notamment.
Enfin, l’étude conclue que le système électoral mauritanien fausse les résultats du scrutin en sanctionnant indirectement les wilayas du Sud, habitées en majorité par des Négro-Mauritaniens, pour donner souvent plus de représentativité aux circonscriptions les moins peuplées habitées par des Maures. L’étude propose pour régler ce problème, de rectifier tout simplement le nombre de sièges accordés à chaque circonscription par rapport aux nombre réel d’habitants.
Le territoire : lieu de toutes les disputes
Pour les Mauritaniens, tout groupe communautaire confondu, le territoire est avant tout un lien identitaire. Toutefois, l’étude constate qu’il y une véritable rupture de ce lien qui ressors des résultats des élections législatives de 2006. Dans les territoires les plus riches, il y a toujours des élus non issus de la région, alors que dans les territoires les plus pauvres on retrouve des élus issus exclusivement de leur région.
Dans cette optique d’analyse des liens entre les élus et le territoire, l’étude a tenté de voir si dans certains territoires plutôt que d’autres, les proches de l’ancien régime sont plus présents ? Dans quelle proportion ? Et pourquoi ? A travers cette approche du territoire, l’étude voulait connaître aussi la manière dont les Mauritaniens votent et, s’il y avait eu des évolutions dans la manière de voter et surtout dans quelles circonscriptions et dans quelle régions ?
En synthèse, les circonscriptions qui se situent entre 31.000 électeurs et à peu près 77.000 électeurs ont en majorité voté pour des indépendants. L’auteur intrprète ces résultats pour en déduire que les circonscriptions moyennes avaient voté pour le régime d’Ould Taya.
Résultats des législatives dans les circonscriptions de plus de 31 000 habitants
L’alliance entre indépendants et l’ancienne coalition gouvernementale, a fait que ce sont les proches de l’ancien chef d’Etat, Ould Taya qui avaient remporté ces circonscription avec 69 % des voix. La comparaison des résultats de ces circonscriptions avec celle des plus de 31.000 habitants donne plusieurs différences.
Tout d’abord, en dehors des indépendants, le PRDR et le RFD sont arrivés en tête avec 10 % chacun, alors que dans les circonscriptions de plus de 31.000 habitants, se sont les partis de l’opposition qui sont arrivés en tête. Dans ces circonscriptions aussi, les autres partis politiques ont eu à peu près le même nombre de voix, avec la présence cette fois-ci d’un nouveau parti qui est Alternative.
A partir de cette situation on peut comprendre l’importance du mode de scrutin. Si on avait adopté un scrutin majoritaire ici, il est sûr que la victoire de l’opposition aurait été encore plus claire. Mais ce que l’étude des circonscriptions nous prouve, c’est que le changement vient des grandes agglomérations. Dans la capitale Nouakchott par exemple, il n y a pas eu de véritable vainqueur. Le résultat des partis politiques a été presque le même. On y retrouve 8 partis comme l’APP, le RC, l’UFP, le PRDR ; L’étude remarque que Nouakchott n’arrivait pas à se décider lors des dernières législatives.
Résultats dans les circonscriptions de moins de 31 000habitants
L’auteur remarque aussi qu’en Mauritanie, on ne vote pas encore pour un programme politique, mais plutôt pour une personnalité tribale. Et seuls les partis de UFP et les islamistes du RC développent encore de véritables dogmes idéologiques.
Résultats dans les circonscriptions de moins de 31 000 habitants par positionnement politique
L’étude, qui essaye de faire ressortir les particularités des territoires, tout en effectuant des corrélations avec les caractéristiques des parlementaires, fait remarquer que dans le grand Nord mauritanien, au Tris Zemmour, le résultat électoral n’a donné aucun élu de la principale tribu de la région, les Regeibat. Ils ont été débordés par deux Smassid et un Pular. Autant ce fait est intriguant, il pourrait être expliqué par l’essor de l’activité économique de la région qui est centré sur les activités minières de la SNIM et son impact sur les modalités de changement social dans cette région. Sous un autre aspect, ces résultats électoraux démontrent aussi que les chefferies traditionnelles peuvent bien être bousculées dans leurs fiefs par des ressortissants d’autres régions. L’implantation d’une grande entreprises comme la SNIM dans cette région depuis plus d’un demi siècle et, son impact socioéconomique, ont permis de créer d’autres rapports d’acteurs entre dominés et dominants.
Au Tagant, et à l’Est au Hodh El Chargui, ce sont les élus issus des tribus de la région qui avaient brigués un mandat parlementaire. Les choses sont un peu plus différentes à mesure qu’on va vers la région du fleuve. On remarque, à des degrés divers, qu’il y a des élus dont la tribu n’est pas issue de la région. Ce qui peut s’expliquer par les migrations à la suite des grands événements comme la sécheresse, et aussi peut-être à cause de la réforme foncière qui a ramené des migrants du Nord, et notamment des Haratines, qui n’on pas vraiment profité de cette réforme. A ce sujet, l’auteur remarque que pratiquement, tous les Haratines de l’Assemblée nationale ont été tous élus au Sud Ouest de la Mauritanie.
L’étude fait ressortir aussi des spécificités de la répartition géographique des partis politiques. Le RFD, par exemple serait absent de l’Est du territoire mauritanien, mais il est présent à Dakhlet Nouadhibou, Nouakchott, au Traza, au Ghidimakha, à Assaba, et au Tagant, soit 6 wilayas sur 12. Ces entités administratives se trouvent à l’Ouest de la Mauritanie bien que le président du RFD, M. Ahmed O. Daddah, est issu du Trarza.
L’autre parti de l’ancienne opposition, l’UFP est présent en plus de Nouakchott, au Tagant, mais surtout au Sud du territoire mauritanien en Assaba, au Gordol et au Ghidimakha. L’une des explications avancées par le chercheur, au sujet de cette territorialisation marquée par les violences des émeutes de 1989, c’est que cette formation politique de gauche a été toujours synonyme de contestation idéologique au système mauritanien, qui est entre les mains des Beïdanes.
Quand au PRDR, il a été présent dans 4 wilayas seulement, de façon fragmentée. On le retrouve au Traza, à Nouakchott, au Tris Zemmour au Nord, en Adrar au centre, et enfin au Hodh el Gharbi au sud, seul l’Est lui échappe. Cette partie du territoire serait récupérée par leurs alliés indépendants. Ces derniers ont été présents sur l’ensemble du territoire sauf au Nord Ouest, même s’ils étaient absents dans les wilayas de l’Inchri et de Dakhlet Nouadhibou.
Pour ce qui est l’APP, qui prône le nationaliste arabe, l’abolition de l’esclavage et la promotion de la communauté des Haratines, il a été présent à Nouakchott , au Tris Zemmour au Nord, à Dakhlet Nouadhibou au Nord-Ouest, et au Traza au Sud-Ouest, soit aux frontières de l’État mauritanien et du Sahara occidental.
Pour ce qui est de la circonscription nationale (liste nationale), l’étude a montré la réussite de cette expérience qui avait largement réalisé son objectif majeur, en drainant au parlement bons nombres d’élus issus de petits partis politiques, presque tous crées par des proche de l’ancien régime d’Ould Taya pour meubler le vide crée par la disparition subite du Parti État.
Outre leur rôle politique intégrateur, ces partis satellites auraient servi aussi comme décor pour peaufiner les parures de la démocratie à la mauritanienne, en donnant l’impression qu’il existe bien un pluralisme politique vivace dans ce pays.
Enfin, l’auteur évoque certaines attitudes révélatrices qu’il avait vécues et qui l’avaient bien marqué durant ses recherches de thèse en Mauritanie. Par exemple, lors d’un séminaire à Nouakchott sur les conditions de travail, le chercheur évoque qu’il avait été surpris de savoir que la personne qui servait du thé aux séminaristes était sans contrat de travail. L’auteur trouvait très étonnant d’entendre un discours aussi engagé sur la lutte contre l’esclavage dans toutes ses formes, et de ne pas remarquer que cette personne subissait ce phénomène en quelques sortes. L’auteur conclu que cela veut dire tout simplement que cette réalité est encore considérée comme une banalité, un décor intégré à la société. Pour lui, ce fait démontre bien que les mentalités en Mauritanie évoluent de façon très lente.
Dans plusieurs passages de son texte, l’auteur s’interroge profondément sur les modalités d’évolution des attitudes et sur la pérennité de l’exercice de la démocratie dans notre pays. Comment, dit-il, peut-on voter librement si on a une épée au dessus de la tête ? Comment peut-on voter contre celui qui nous offre un toit, ou un bol de riz dans un État aussi pauvre que la Mauritanie ?
Bien que l’auteur reconnaisse que la solidarité familiale et tribale équivaut à un véritable système informel de "sécurité sociale" en Mauritanie, il pense que c’est ce système qui entretient la dépendance aux groupes vis-à-vis du fait tribal. Car, dit-il, comment peut-on voter librement si sur 3 millions d’habitants, il y a 30.000 Mauritaniens seulement qui cotisent pour la retraite ? Comment peut on voter librement si on sait qu’on devra travailler jusqu’à la fin de sa vie sans contrat, donc sans sécurité sociale ? Comment peut on négocier ou réclamer son dû si on tente tout simplement de survire le jour au jour ?
L’étude conclue, que le vote a été suffisamment libre et transparent sur le plan technique, pour permettre à certains Haratines de voter librement, mais vue la situation économique difficile de ce groupe, le vote libre reste difficile eu égard aux multiples pesanteurs économiques notamment.
Dans ce contexte de réflexions sur l’évolution des attitudes et des comportements, singulièrement dans des circonstances, où la corrélation entre territoire, pauvreté et tribalisme, interverti le jeu politique, l’étude de notre ami Réda Dali, fait référence à la théorie de l'acteur stratégique chez Crozier et Friedberg, qui proposent une méthode empirique pour comprendre le fonctionnement des organisations en se penchant sur les rapports de pouvoir qui les structurent et rendent intelligibles les comportements de leurs acteurs.
Selon, cette théorie, "le pouvoir implique toujours la possibilité pour certains individus ou groupes d’agir sur d’autres". Mettre en place, ou nommer des personnes à des postes administratifs ou politiques reste avant tout un moyen de faire accéder un groupe ou une population pauvre à de nouvelles ressources et moyens de subsistance (emplois, salaires, aides de l’État, aides internationales, etc.). Cette approche semble être donc le meilleur moyen pour des hommes qui se trouvent au pouvoir afin de garantir leur réélection. Bien que cette pratique ait été particulièrement l’apanage du pouvoir d’Ould Taya, elle a été bien aussi d’actualité lors des dernières élections législatives de 2006. Qu'adviendra-t-il demain de son usage ? C’est toute la question qui se pose à la veille des prochaines élections.
Mohamed Saleck Ould Brahim,
Chercheur & Consultant
medsaleck@gmail.com
6 Juin 2011
Références bibliographiques :
International Crisis Group, La transition politique en Mauritanie : Bilan et perspectives, Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°53 24 avr. 2006 ;
Michel Crozier : À quoi sert la sociologie des organisations ?, Paris, Arslan, 2000